Les films d’horreur, une histoire de peurs sociales

Marie Bélanger est une scénariste, auteure et conférencière québécoise. Le 8 juillet 2016, elle participait à l’édition 2016 du ComicCon de Montréal pour présenter une conférence passionnante sur le lien entre les films d’horreur et les peurs sociales, des premières heures du cinéma à nos grands blockbusters actuels.

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Marie Bélanger est une scénariste, auteure et conférencière québécoise. Le 8 juillet 2016, elle participait à l’édition 2016 du ComicCon de Montréal pour présenter une conférence passionnante sur le lien entre les films d’horreur et les peurs sociales, des premières heures du cinéma à nos grands blockbusters actuels.

Retour sur un sujet effrayant de vérité...

La fin du XIXe siècle marque la naissance des films, enregistrés par « kinétographes » (ou cinématographes), et diffusés dans des grandes salles de projection. En 1896, le grand George Méliès réalise le tout premier film d’horreur, Le Manoir du Diable. Mais officiellement, le premier « film d’épouvante » de l’histoire est le (très) court métrage The execution of Mary, Queen of Scotts, produit en 1895 par Alfred Clark.

Dans les années 1930, le cinéma s’étant développé avec l’essor de la caméra argentique et du 35mm, Hollywood tente de lutter contre la crise économique mondiale en produisant les premiers films d’horreur, qui deviennent rapidement très populaires. L’Europe est sous le joug du culte de la personnalité, avec les deux tyrans qui mènent le début de la Seconde Guerre mondiale, Adolf Hitler en Allemagne et Joseph Staline en URSS. Les premiers « monstres » des films hollywoodiens sont donc des créatures puissantes, surhumaines et dangereuses, toutes sorties de romans fantastiques européens (Dracula, Dr Jekyll et Mr Hyde, Frankenstein, etc.). De plus, les Américains commencent à craindre quelque peu la science, effrayés par l’idée que les scientifiques ne jouent aux apprentis-dieux. Ainsi, la mise en scène de telles créatures -créées par l’être humain- à travers les films, fait écho à leurs pires cauchemars.

Dans les années 1940, après la Seconde Guerre mondiale, le monde est encore sous le choc des horreurs de la guerre, et de la manipulation psychologique exercée par le parti nazi. Aussi, les films d’horreur concernent désormais les zombies voodoo, contrôlés par des humains malfaisants et voués à tuer et torturer les gens. Mais à travers ce conflit, l’humanité a également découvert que l’Homme lui-même peut devenir un monstre, une créature qui sème l’horreur autour d’elle, sans aucune limite. Le cinéma commence alors à représenter des monstres mi-homme mi-animal, tel que le loup-garou, qui symbolise la bestialité des combats et la cruauté politique, suite à la Grande Guerre.

Les années 1950 s’ouvrent sur un monde encore traumatisé par la bombe atomique, et ses terribles conséquences sur Hiroshima et Nagasaki. L’après-guerre a laissé place au conflit politique et idéologique entre les États-Unis et l’URSS, et les deux possédant l’arme nucléaire, la peur d’une nouvelle utilisation de celle-ci est dans tous les esprits. Dans le bloc de l’ouest, le président américain McCarthy lance une véritable « chasse aux sorcières », traquant toute trace de communisme dans son pays. Aussi, pour ne pas se mettre en danger, Hollywood ne produit que des films non subversifs et qui, pour la plupart, ne tentent pas de transmettre une quelconque idée ou un quelconque message. Les films « d’horreur » de cette époque représentent plutôt des monstres géants -qui peuvent être vus, en quelque sorte, comme une métaphore du conflit USA/URSS-, et s’adressent plutôt à un public jeune, avec des scripts assez inintéressants et beaucoup d’action. C’est l’apparition des premiers films sur Godzilla (Godzilla ou Gojira, 1954) King Kong (Monsieur Joe, 1949) ou encore des cryptides (L’abominable homme des neiges, 1957, La créature du Lagon noir, 1954, etc.). Mais les années 1950 sont aussi marquées par l’affaire Roswell* (1947), et la grande épopée des films sur les extraterrestres et la conquête de l’espace débute (Battle in Outer Space, 1959, Flight to Mars, 1951, Killers from Space, 1954, etc).

Affaire Roswell

Crash de ce qui fut présenté par les américains comme un vaisseau spatial extraterrestre près de la commune de Roswell, au Nouveau-Mexique. Ce simple crash (de ce qui s’est avéré être un ballon-sonde) est, pour de nombreux ufologues, la preuve évidente qu’une société extraterrestre intelligente nous aurait rendu visite, et que le gouvernement américain aurait étouffé toute l’affaire. Quelques années plus tard, la dissection fictive d’un corps soi-disant retrouvé dans le « vaisseau » fut mise en scène et filmée, confirmant pour beaucoup leur théorie sur l’affaire. De nos jours, beaucoup de personnes croient encore fermement que Roswell est le crash d’un véritable vaisseau alien, que le gouvernement américain aurait dissimulé pour ne pas avouer qu’ils sont en contact avec des sociétés extraterrestres.

Dans les années 1960, la population développe une certaine peur du mouvement hippie, et de tous les mouvements un peu « rebelles » de cette génération (le féminisme, les Black Panthers, etc.). C’est un véritable choc pour l’Amérique traditionnelle, qui connaît de très nombreux changements sociaux et politiques. Plus que jamais, les gens prennent conscience du fait que les « monstres » peuvent être parmi nous, ou même être nous-mêmes. En 1957, l’affaire Ed Gein (tueur en série qui déterrait des corps, les découpait et les dépeçait, afin de se faire un « habit humain de femme riche » ; il a inspiré le personnage de Norman Bates dans le film Psychose, 1960), développe cette angoisse qui s’étend désormais à la jeunesse ; c’est un peu l’idée que « le démon est parmi nous » (ou « the devil is inside »). Les films d’épouvante laissent donc la place aux thrillers, aux films sur des meurtriers, ou des animaux féroces, dévoreurs d’humains. Mais les sixties voient aussi naître les pilules contraceptives, et donc une grande libération sexuelle au niveau des femmes. Aussi, le style gore apparaît, mêlant sexe et sang, représentant la combinaison des extrêmes, nos deux « instincts primaires » : pulsion de mort et pulsion de vie.

Les années 1970 sont marquées par une grande dépression. En effet, les Américains ont réalisé que la paix des hippies ne résout pas grand-chose ; ils prennent également conscience que l’Amérique n’est pas le pays « héros » qu’elle prétendait être, et tombent dans un certain cynisme général. Les films d’épouvante/horreur reprennent leurs titres de noblesse, et les réalisateurs mettent au point un nouveau genre : le film paranormal. Les histoires de fantômes, de démons et de possessions deviennent très populaires, et Hollywood voit naître ses grands classiques, tels que L’exorciste (1973), Carrie (1976), ou encore La malédiction (1976). La peur du fantôme, du surnaturel, répond à l’angoisse générale de tous les changements survenus dans la décennie précédente. De plus, il y a un certain essor de l’individualisme, moins de patriotisme, et les journaux témoignent d’une vague de serial killers. Aussi, le genre « slasher » se développe, mettant en scène des vengeances, des meurtres d’enfants ou d’adolescents, des assassinats en série, et font écho à une paranoïa générale. On notera aussi que de plus en plus de films indépendants voient le jour, ainsi que des films d’horreur italiens -suivant la crise économique que vit le pays. Enfin, le monde prend conscience de la problématique écologique, de notre perte de contrôle sur la nature, et de nombreux films représentant des animaux meurtriers sont produits, comme Les Dents de la Mer (1975).

Dans les années 1980, le monde semble de nouveau mené par des valeurs fortes et sûres, avec Margaret Thatcher en Europe, et Ronald Reagan aux États-Unis. L’économie japonaise connaît aussi un grand essor, grâce à leurs avancées technologiques, et le néolibéralisme apparaît petit à petit. La machine Hollywood continue à se développer, mais n’ayant pas d’aussi bons réalisateurs qu’auparavant, les films d’horreur sont principalement des suites ou des remakes. On retrouve des films sur des sorcières, des aliens, des robots tueurs, etc. Ils sont même un peu oubliés, car l’apparition des grands effets spéciaux permet de créer nombre de blockbusters visuellement innovants et impressionnants. Ainsi débute l’ère de la fantasy et de la science-fiction, qui donne l’occasion au spectateur de fuir son monde banal pour s’échapper vers des univers extraordinaires (Star Wars V, 1980, Retour vers le futur, 1985, E.T. L’extraterrestre, 1982, etc.). De plus, la création de la VHS et du VCR permettent de donner une seconde vie aux films, et aident à développer de nombreux films indépendants, aux moyens très modestes. Il y a aussi une certaine banalisation de l’érotisme dans l’opinion publique, qui contribue à l’essor des films pornographiques et du gore (qui ne se limite plus aux films d’horreur !).

Dans les années 1990, la chute de l’URSS marque la fin du communisme, et donc de l’ennemi premier des États-Unis. C’est aussi la seconde vague d’individualisme, la « Me generation », et Hollywood produit de plus en plus de films psychologiques (liés aux avancées de la science en la matière), sur des serials killers psychopathes. De ce fait, le public commence à apprécier autant ces criminels fictifs que leurs victimes (l’exemple de Hannibal Lecter illustre parfaitement cette tendance, avec Le Silence des Agneaux, 1991). De son côté, le Japon réalise sa première grande vague de films d’horreur, avec Audition (1999), The Ring (1998) ou Eko Eko Azarak (1995). Ces films mettent en scène principalement des fantômes, mais leur côté très sombre et morbide enthousiasme le public occidental, auprès duquel ces films deviendront très populaires. De nombreux films de vampires voient également le jour aux États-Unis, mais cette fois la créature mythique devient un être de désir et de volupté, plus qu’un meurtrier sanguinaire (Entretien avec un vampire, 1994).

Le début des années 2000 est marqué par les attentats du 11 septembre, à New York, et l’Amérique se trouve alors un nouvel ennemi, religieux cette fois : Al Qaïda. Le président George W. Bush débute une guerre contre ce qu’il appelle « L’Axe du Mal », et l’islamophobie gagne rapidement tous les esprits. Les créatures des films d’horreur redeviennent donc des « monstres invisibles », avec des films de fantômes, de possession, de satanisme, etc. Une fois de plus, « l’ennemi est parmi nous ». Côté japonais, nombre de remakes sont faits, suite aux succès de leurs premiers grands films d’épouvante. Mais de nouvelles peurs écologiques se développent, comme l’angoisse de la menace bactériologique ou pandémique, qui se traduit par des films de zombies se propageant par le biais d’un virus (La saga Resident Evil, 2002, 28 jours plus tard, 2002, L’armée des morts, 2004, etc.). Les nouvelles connaissances en matière d’écologie créent aussi une peur des catastrophes naturelles, voire même de l’apocalypse (Le jour d’après, 2004, Prémonition, 2004, Cloverfield, 2008, etc.). Dans le même temps, l’évolution constante et rapide des technologies fait exploser la diffusion du pornographique, lié à une hypersexualisation croissante de la société, et du gore, qui est maintenant de plus en plus réaliste grâce aux nouvelles techniques d’effets spéciaux. Le public demande de plus en plus de réalisme, de plus en plus d’images-choc, et des longs métrages comme Saw (2004), La colline a des yeux (2006) ou même Destination Finale (2000) répondent particulièrement à ses attentes. A la fin des années 2000, la plupart des grands réalisateurs de cinéma se tournent vers la télévision, qui reprend ses titres de noblesse avec l’explosion des séries (The Walking Dead, depuis 2010, American Horror Story, depuis 2011, Supernatural, depuis 2005, etc). Aussi, à Hollywood, quelques remakes et suites de films d’horreur sont produits, mais le public a quelque peu délaissé les salles obscures.

La décennie suivante s’ouvre sur une période de récession, mais aussi sur un nouvel essor des « valeurs justes », des nouvelles tendances, d’une plus grande ouverture d’esprit et d’une plus forte tolérance. Nous sommes dans l’ère la plus poussée de l’individualisme (les réseaux sociaux en sont la preuve la plus pertinente), et, de nos jours, la culture Geek (que nous partageons) est devenue le mouvement « cool » par excellence. Politiquement, le monde connaît de grands changements, et les gens sont de plus en plus enclins à prendre la parole, exprimer leurs avis, leurs volontés, de manière positive ou négative ; cela s’est traduit en Orient par les Printemps Arabes, mais aussi de très nombreux attentats partout dans le monde. Dans la littérature fantastique, les dystopies et mondes post-apocalyptiques deviennent très populaires (Hunger Games, The Maze Runner, Divergent, etc.). Au niveau du cinéma, si les films d’horreur sont toujours populaires, il y a néanmoins une décroissance évidente de l’intérêt des spectateurs pour le 7ème art, suivant le nouvel âge d’or des séries. Nous sommes désormais dans la « super Me generation » et avec les nouvelles tendances et modes de pensées, les monstres ou « méchants » du cinéma sont de plus en plus appréciés, représentés comme des rebelles incompris, rejetés par la société ou des personnes blessées réclamant simplement vengeance (Twilight, Teen Wolf, Warm Bodies, etc.).

Cependant, si le genre de l’horreur nous semble de moins en moins attrayant depuis plusieurs années, de nouveaux réalisateurs se lancent le défi de surpasser leurs aînés en la matière, et parviennent à bluffer les plus sceptiques, par leur approche moderne et innovante du genre. Nous vous conseillerons avec plaisir les œuvres -bien que controversées- de James Wan (la saga Insidious, depuis 2011, The Conjuring, 2013, Annabelle, 2014), de Scott Derrickson (Sinister, 2012, The Exorcism of Emily Rose, 2005, etc.), ou encore de Jennifer Kent (Mister Babadook, 2014, Monster, 2005, etc.). S’ils n’ont pas encore pleinement apposé leurs traces dans le genre de l’épouvante, ils ont déjà brillé en la matière et fait frémir plus d’un. Aussi nous attendons leurs prochaines créations avec beaucoup d’impatience…


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