Interview de Johannes Helgeson, un concept artist suèdois et character designer dans le jeu vidéo !

Lors de l'Otakuthon de Montréal, nous avons eu la chance d'interviewer de nombreux artistes talentueux, et nous avons donc pu parler au grand Johannes Helgeson, et de le questionner sur son métier si passionnant !

Écrit par le
Temps de lecture : 21 min

Lors de l'Otakuthon de Montréal, nous avons eu la chance d'interviewer de nombreux artistes talentueux, et nous avons donc pu parler au grand Johannes Helgeson, et de le questionner sur son métier si passionnant !

Il travaille dans l’industrie du jeu vidéo depuis 2008. Il se spécialise dans le design de personnages stylisés et a travaillé pour des compagnies telles que Gameloft, Activision, Volta, Trendy Entertainment et Hibernum Creations. Johannes se considère comme un éternel élève de l’art, constamment à la recherche de nouvelles techniques et d’expériences d’apprentissage. Artiste virtuose, travailleur acharné, et ambitieux, il parle de son travail avec beaucoup passion, et nous transmet presque automatiquement son intérêt pour cet art ! On vous laisse découvrir...

C&J : Lorsque l’on vous amène un projet de jeu vidéo, dont vous devez dessiner les personnages, comment cela se passe ? Est-ce qu’on vous donne des indices sur l’univers du jeu, est-ce qu’on vous propose des personnages types, pour que vous ayez une « base de travail » ? Ou bien est-ce à vous d’imaginer tout l’univers du jeu et de le proposer ?

J.H. : Bonne question. Je veux dire, je suis un concept artist, alors je dessine les choses telles qu’elles devraient être dans un jeu vidéo. Je peux dessiner des personnages, des armes, un environnement, des pièces, tout ce qui nécessite d’être designé. En fait j’ai un directeur artistique, il est mon « patron », ou elle d’ailleurs, et cette personne vient me voir avec un briefing, une mission, ce que je dois faire en somme. Alors par exemple « j’ai besoin de toi pour dessiner un dragon chinois ». Ensuite, ce directeur artistique a une idée de comment il souhaite voir le dragon, alors il m’amène des images de références. Et s’il ne le fait pas, je fais mes petites recherches, je trouve les références moi-même. La première étape c’est de trouver un matériau de référence, voir comment le dragon est fait, comment il a été représenté par le passé, etc. Et en trouvant ces références, on a de nouvelles idées. Parce que si je commence par dessiner directement, je vais forcément produire quelque chose que j’ai déjà vu auparavant, ou même quelque chose que j’ai déjà fait. Alors ça va être une répétition. Mais si je cherche des références, cela me permet d’explorer de nouvelles idées, de faire des choses auxquelles je n’avais pas pensé avant. Donc c’est la première étape. Après avoir trouvé les références, je vais commencer à faire quelques croquis grossiers. Ou quand il s’agit de clients, ils ne veulent pas qu’on leur présente une seule idée. Ils veulent voir beaucoup d’idées. Ensuite on en discute, ce qui est la meilleure partie. Alors je présente toujours 4 ou 5 idées différentes. Donc, partons sur le dragon chinois. Cela revient à « garde celui-là entier, garde celui-ci comme ça » et « peux-tu combiner les cornes de celui-ci avec la taille de celui-là », et on essaie de faire marcher tout ça. A partir de là, je commence à créer des concepts détaillés.

Une grande partie de mon travail est d’explorer ce qui ne fonctionnera pas dans le jeu. Ils vont me dire « peux-tu essayer cette direction ou cette direction », ou même souvent je dois dessiner les choses qui ne passeront pas dans le jeu. C’est une partie assez énigmatique de mon travail car 80% de ce que je vais faire va être viré et envoyé à la poubelle. Ce sera envoyé au loin, parce que cela ne correspond pas à ce qu’ils veulent. Mais c’est mon travail et je suis un peu un genre de génie de la lampe.

Alors je suis du genre « je réalise tous vos veux » et « je ferai ce que vous voulez » et c’est souvent "est-ce que ceci ou cela va fonctionner", ou "quel est le meilleur moyen de faire telle chose". C’est un peu une combinaison de tout au final.

C&J : Ces personnages sortent de votre imaginaire (c’est votre création), et vous dites souvent que vous aimez imaginer un personnage dans sa totalité (raconter son histoire). De ce fait, participez-vous un peu à la conception du jeu, par rapport aux personnages ?

J.H. : C’est différent car quand on fait du travail personnel, on est libre de faire ce qu’on veut. On peut créer toutes les histoires qu’on veut, ou qu’on trouve intéressantes. Quand on bosse sur un jeu vidéo, c’est une autre personne qui va créer l’histoire, donc on doit s’adapter à leur vision. Et ce qui est épineux, avec le jeu vidéo, c’est que parfois, voire très souvent, l’histoire change donc quand on la reçoit la première fois, ce sera tel type d’histoire. Et deux mois plus tard, ce sera une histoire totalement différente. Alors c’est très différent à créer, cela peut être très difficile même, de créer un personnage quand on n’a pas d’histoire, ou quand l’histoire change sans cesse. Alors le plus souvent, je vais imaginer tout cela moi-même. Parce que, disons, s’ils veulent que je dessine un chevalier qui chasse les dragons (restons sur le thème du dragon). Je vais devoir penser « ok, qu’est ce qui est arrivé à ce personnage par le passé ? Pourquoi chasse-t-elle des dragons ? », mais aussi « comment fait-elle ? Est-elle intelligente ou juste une force brute ? Utilise-t-elle de la magie ou autre chose ? ». Je dois imaginer l’histoire, le passé de ce personnage. Parce que si je n’ai pas tout ca, le personnage ne sera pas intéressant. Il faut absolument une histoire pour créer. Et heureusement, le briefing est souvent là pour t’en donner une. Mais si ce n’est pas le cas, tu dois imaginer par toi-même.

Mais quand on travaille pour soi même, c’est vraiment différent. On fait ce qu’on veut. Bien sûr, si l’on fait du fan art, si l’on créé, ou même si l’on fait la suite d’un jeu, on a déjà une base, un fondement. Disons, par exemple qu’on travaille sur World of Warcraft. Il y a des tas d’histoires et de guerres, et cela peut nous inspirer. Donc cela dépend de si l’on travaille sur un jeu ou sur quelque chose qui existe déjà.

C&J : Nous avons lu une de vos interviews pour Pinup Arena dans laquelle vous déclarez avoir 3 grands rêves. Pourriez-vous nous parler du deuxième évoqué, c’est-à-dire voir votre nom figurer dans les crédits d’un film ayant gagné un oscar. Quel serait votre rôle idéal dans la conception de ce film ? Quel serait LE film idéal ?

J.H. : Je me vois comme artiste conceptuel, donc qui développe le langage visuel du film. Je dessine ce à quoi chaque chose doit ressembler. C’est quelque chose que j’adorerais faire. Mais il y a une différence entre un artiste qui développe le visuel (designer visuel) et un créateur de personnages. Le designer visuel va dessiner les scènes, les tableaux, l’environnement. De mon côté, je suis plus centré sur la création de personnages, qui est la meilleure partie de mon travail, à mon avis. Le genre de films qui m’intéresseraient seraient plutôt du genre Terminator 2, Jurassic Parc. J’aime bien La chose, de John Carpenter, mais aussi Aliens. Il s’agit de films orientés vers l’action, et on n’en voit pas énormément. Surtout en animation. L’animation se centre plutôt vers des publics familiaux, des jeunes, et il n’y a rien de mal à cela mais je préfèrerai travailler sur une série animée Batman par exemple ou quelque chose du genre. C’est juste quelque chose qui m’attire plus, qui plait à l’adolescent qui est profondément ancré en moi. (Il rit). Mais ce qui me plait le plus, je pense, c’est de divertir les gens, d’une manière ou d’une autre. Alors si je peux leur permettre de se sentir bien, de penser à un certain choix dans leur vie, c’est vraiment significatif pour moi. Quand les gens regardent mon travail et sont divertis, c’est très important. J’adore ca !

C&J : De ce fait, pensez-vous peut être un jour travailler dans le film d’animation ? Ou tout simplement dans l’animation (anime, etc) ?

J.H. : Peut-être un jour, oui, ce serait vraiment cool. Mais le truc c’est que, dans l’industrie du film, il y a beaucoup de temps de travail et c’est très dur. J’ai appris au fil des années que, ce qui me donne le plus de satisfaction, c’est mon travail personnel. J’adore travailler en studio ou sur des jeux, mais le meilleur truc, c’est de travailler pour soi. Et je pense que travailler dans des films d’animation à présent, cela demande beaucoup d’heures supplémentaires. De plus, au niveau de Pixar ou Disney, si l’on veut être créateur de personnages, il y a beaucoup de monde et parfois jusqu’à 10 personnes qui travaillent ensemble sur le même personnage. Donc les chances que notre travail en particulier soit pris sont infimes. Mais dans les séries TV ou les jeux vidéo, il y a plus de chances que notre travail soit retenu et apparaisse au final à l’écran. Et je ne suis pas un grand fan des suites de films en fait. J’aime les nouveautés, les films originaux, donc je préfère faire cela, plutôt que d’aider à la production d’une suite de film.

C&J : C’est peut-être un peu tôt mais, lors d’une autre interview, vous disiez que vous souhaitez créer votre propre comic... Vous êtes un travailleur acharné. Alors, avez-vous déjà une idée en tête, ou bien est-ce encore un simple projet pour plus tard ? Peut-être, avez-vous commencé ?

J.H. : J’ai quelques idées, oui. J’ai créé un personnage récemment, qui s’appelle Einart, il est Viking. Et j’ai une histoire pour ça, à laquelle je commence à réfléchir. Ce qui me guide dans mon travail, c’est le challenge, qui me permet de progresser en tant qu’artiste. Je pense que travailler sur un comic me forcerait à travailler sur des choses pour lesquelles je ne suis pas très bon. Je ne me trouve pas très bon pour raconter des histoires, faire des séquences d’images, ni pour travailler plus vite. Et raconter une histoire, je pense que c’est très difficile. Donc faire un comic serait plutôt amusant, de ce point de vue. En plus, j’ai pu rentrer en contact avec l’un de mes artistes préférés, il s’appelle Marcello Vignali, et il est incroyable. Il bosse sur des films, aux Etats-Unis. Je lui ai demandé de critiquer mon travail, et il m’a dit « ça a l’air vraiment bon, mais je pense que tu en apprendrais beaucoup en faisant un comic, ou même des séquences, des petites histoires comme ça ». Donc je respecte son conseil, car il est vraiment bon et je pense que ce serait vraiment bien. Mais c’est aussi un gros engagement, car si on veut faire un comic, il y a beaucoup de choses à faire. Donc si je commence à créer, ce sera de petites histoires, de 2 ou 3 pages. Et si cela marche, je réfléchirais au fait de faire quelque chose de plus long. Le truc avec les comics, c’est aussi qu’il n’y a pas beaucoup d’argent dans ce domaine. C’est très difficile d’en vivre, même si l’on est l’un des meilleurs au monde. Et même en France, parce que vous avez la plus grande culture bande dessinée au monde. Il faudrait faire quelque chose comme Black Sad ou Astérix et Obélix pour que ça marche, pour pouvoir en vivre.

C&J : Nous avons eu la chance d’interviewer d’autres invités de l’Otakuthon, et il y a une question qui me plaisait beaucoup… Vous sentez-vous proches de vos personnages, vous sentez-vous connectés à eux ?

Oui, toujours ! Il y a deux choses à dire sur la création de personnages. La première, c’est que quand je créé un personnage, j’essaye d’imaginer une histoire fantastique. Donc cela peut être l’histoire d’un personnage puissant, fort, qui est imbattable. Cela peut être l’histoire de quelqu’un qui est très à l’aise avec sa sexualité, quelqu’un qui peut parler de n’importe quoi avec n’importe qui. Et ce sont des histoires auxquelles j’essaie de m’attacher, que je pense que d’autres peuvent avoir. Et je veux que le personnage soit la représentation ultime de cette histoire, peu importe de quoi il s’agit. Alors je dessine beaucoup de filles belles et sexy, mais c’est surtout une expression de la confiance en soi, et de se sentir bien à propos de sa sexualité, du fait d’être séduisante. Il s’agit d’explorer ces choses-là, ces histoires-là. Le second truc, c’est le personnage. J’essaie de raconter des histoires, et j’essaie de penser que j’ai déjà ressenti la même chose que tel personnage dans ma vie, que j’ai déjà eu cette expérience-là, que je suis déjà passé au travers de ce qu’il vit. J’ai vraiment besoin d’avoir cette relation avec mes personnages pour faire mon travail honnêtement, pour créer des personnages intéressants. Je pense. Sinon ce sont juste des coquilles. Ils peuvent paraître cool mais bon.. Heureusement, je peux créer des personnages et les relier à des histoires que j’ai faites, à des choses que j’ai vécues, à des émotions que j’ai eues par le passé. Mais bien sûr, lorsque l’on travaille pour une entreprise, c’est un peu différent car, comme je le disais, 80% de ce que je fais va être jeté et cela peut être assez douloureux. Je veux dire, cela peut blesser car c’est quelque chose que j’ai fait, dans lequel j’ai mis tout mon cœur et toute mon âme. Donc professionnellement je ressens le besoin de prendre un peu de distance avec les personnages. Mais personnellement, j’essaie de me donner à fond dans ce que je fais, de m’y impliquer entièrement. Au final c’est un peu différent, entre ce que tu fais professionnellement et personnellement.

Pour plonger dans son univers : https://helgesonart.artstation.com/




Cet article vous a plu ? Partagez-le avec vos amis


Commentaires

comments powered by Disqus
PauseGeek.fr