Jules Verne et le problème de l’adaptation

Hollywood aime adapter, pour le meilleur comme pour le pire. Aujourd’hui j’ai décidé de parler du pire : quand Jules Verne est adapté. Il n’y a pas eu que de mauvaises choses, le

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Hollywood aime adapter, pour le meilleur comme pour le pire. Aujourd’hui j’ai décidé de parler du pire : quand Jules Verne est adapté. Il n’y a pas eu que de mauvaises choses, le 20 000 lieues sous les mers de 1954 est très sympa, et le Voyage au centre de la Terre avec Brendan Fraiser tenait largement la route. Mais hélas, ces deux films sont des exceptions…

Et Hollywood remet ça, avec un nouveau film en chantier : 20 000 lieues sous les mers : Capitaine Nemo (titre provisoire ?). James Mangold, à qui l’on doit l’excellent Walk The Line, biopic sur Johnny Cash, est au commande pour le moment, mais c’est à peu près la seule chose que l’on sait, en plus du pitch : les origines du capitaine Nemo. Pas vraiment de surprise, puisque les studios américains aiment raconter toute la vie des personnages, et je ne doute pas que l’on aura bientôt le récit de la conception des plus grand héros, et leur naissance, avant d’avoir la vie de leurs cousins. Si seulement c’était pour raconter de bonnes histoires… Car en soit, vouloir tout dire n’est pas une mauvaise chose, seulement, ça n’apporte pas grand-chose. Et si Mangold a fait quelques bons films, je reste inquiet et me pose des questions. Pourquoi Verne est-il tant adapté, et surtout, pourquoi l’est-il aussi mal ?

Un auteur connu et méconnu à la fois

Verne est l’auteur français le plus connu, le plus traduit et le plus lu au monde. Toutes nations confondues, il est le deuxième auteur le plus traduit (et lu) derrière Agatha Christie. Pas étonnant donc que le grand écran offre davantage de ses romans que ceux de Proust, surtout outre-Atlantique ! Tout le monde connait ses plus grands héros : le capitaine Nemo, Michel Strogoff, Phileas Fogg, … Et tout le monde connaît les titres de ses romans : 20 000 lieues sous les mers, L’Île Mystérieuse, Voyage au centre de la Terre, Le Tour du monde en 80 jours, Michel Strogoff, … Verne est le père d’une grande partie de la culture française et son univers est gravé dans l’imaginaire collectif mondial. Et le terme de mondial est choisi avec soin ici. Ses héros viennent des quatre coins du globe, cela n’aura fait qu’aider leur popularisation.

Pas étonnant dès lors qu’Hollywood s’en empare : des histoires pleines d’actions, de rebondissements et de suspens, avec des héros du monde entier, que le monde entier connaît : bref, de quoi faire un film que l’on peut vendre partout !

Seulement voilà, on connaît peut-être de plus en plus mal son œuvre, et ses personnages deviennent des héros mythiques, Nemo et Strogoff remplaçant Ulysse et Enée… Cocorico ! On peut être fier de notre Verne national. Mais le pauvre est en réalité le cul entre deux chaises : auteur mondialement reconnu, mais auteur rejeté par le monde universitaire français. En France, Verne est considéré comme un auteur pour enfants, et pour moi, c’est une honte d’être autant à côté de la plaque. La preuve en est que la grande majorité des éditions jeunesse sont des fragments, un roman de 800 pages étant réduit à 200…

L’œuvre de Verne est riche, et pas si simple. Le monde connaît 5 ou 6 romans, sur 64. Et l’on passe à côté de bijoux : Hector Servadac, voyage fantaisiste sur un astéroïde ; Le Secret de Wilhelm Storitz, un meilleur homme invisible que ne le sera jamais le roman de Wells ; Les 500 millions de la Bégum, anticipation cruelle des évènements du début du 20e siècle, et j’en passe. Verne a des choses à dire sur notre monde, mais nous n’avons jamais voulu l’écouter, car ce qu’il nous dit depuis 150 ans, c’est que les hommes sont fous, dangereux, monstrueux, et s’autodétruiront. Pour Verne, la science est à double tranchant, et l’accumulation du savoir plongera le monde dans une folie autodestructrice : destruction de la planète, épuisement des ressources naturelles, élaborations d’armes toujours plus dangereuses, courses à l’armement, effacement des arts au profit du pratique, … Verne est fasciné par l’industrialisation, mais en craint les conséquences sur le long terme. Aujourd’hui plus que jamais, il a raison et son œuvre est cruellement actuelle. Ses héros les plus intelligents fuient la société, comme le fait Nemo, ne se réclamant d’aucune nation, créant sa propre langue.

Sauf que si Hollywood aime les bonnes histoires, ils se fichent bien des intentions des auteurs adaptés…

Une œuvre massacrée

Le roman de Verne qui a le plus souffert, c’est probablement L’Île Mystérieuse. On a un chef d’œuvre littéraire d’aventure, de suspens, avec une réflexion sur les mécaniques de la société et l’utilité des connaissances, réduit à : des grosses bêtes sur une île. Pourquoi ? A cause d’un film raté en 1929 réalisé par un certain Lucien Hubbard. Pourquoi persister ? Parce que dans le roman, long de 800 pages, il ne se passe presque rien. Tout repose sur le suspense et la volonté de quitter une île sur laquelle il y a des choses que l’on ne comprend pas. Le roman ne comporte aucune créature merveilleuse, ni plantes fantaisiste. Le roman a une atmosphère fantastique forte, mais ne sort jamais des limites du réel. Dernièrement, c’est un film d’1h30 avec The Rock qui a fait office d’adaptation, dans la foulée d’un Voyage au Centre de la Terre plutôt sympathique et respectueux de son matériau d’origine. Je passe sur Le Tour du monde en 80 jours avec Jackie Chan qui se permet d’ajouter des intrigues inutiles à un récit déjà dense et burlesque.

Mais ne nous méprenons pas, les français sont très bons pour massacrer leur propre patrimoine culturel, et L’Île Mystérieuse a connu une série spécialement faite pour nos écrans du PAF, avec Omar Shariff, grand acteur (Lawrence d’Arabie !), parmi les acteurs principaux. Mais le pauvre bougre ne pouvait pas sauver une série qui s’ouvrait sur l’une des dernières révélations du roman : l’explication concernant l’aide quasi divine qui accompagnait les naufragés…

Je me suis également arraché les cheveux devant La Ligue des Gentlemen Extraordinaire et son capitaine Nemo. Ce n’est pas comme si le roman disait clairement qu’aucun vêtement, aspect physique, ni aucune habitude, ne trahissait l’origine du capitaine. Oui, Nemo est indien d’origine, c’est un prince qui a tout perdu durant un épisode douloureux de sa vie. Mais il ne montre rien de tout cela, et ne porte certainement pas d’habit traditionnel indien !

Un film n’est pas un livre, des libertés peuvent être, et doivent être prises. La fin du 20 000 lieues sous les mers de 1954 est radicalement différente de celle du roman, mais est justifiée, cohérente et respectueuse du matériau de base. Adapter un auteur, c’est comprendre son travail, pas juste transposer une histoire. Et pour cela, il y a travail d’adaptation à faire, et l’adaptation est une problématique importante.

Verne : le symptôme d’un problème plus grand

La question à se poser ce n’est pas « qu’est-ce qu’une bonne adaptation ? » mais « qu’est-ce que n’est pas une bonne adaptation ? », et une bonne adaptation, ce n’est pas une simple transposition. Qu’est-ce qu’on adapte ? Un support (livre vers film), un public (lecteur vers spectateur), un langage (texte vers image), un contexte, une langue, et bien d’autres choses. Exemple : que faire d’une description de roman ? Le cinéma n’a pas besoin de description. Comment transcrire l’effet d’une figure de style ? Quelle coupe faire ? La littérature peut enchâsser les intrigues les unes dans les autres et un roman s’étendre en longueur, il est facile et habituel de fermer un livre et de le reprendre plus tard. Mais un film, on préfèrera le regarder d’une traite. Alors quels éléments du récit couper ? Et lesquels mettre en avant ? Adapter une œuvre rend la tâche de faire un bon film hautement plus difficile que via un scénario original. Être proche du roman ne garantit pas une bonne adaptation. Et s’éloigner donne parfois des choses incroyables. Qui s’est rendu compte que O’Brother, des frères Cohen, était une adaptation de L’Odyssée ? Certes, le héros du film s’appelle Ulysse, mais au premier coup d’œil, ça ne saute pas aux yeux. Et pourtant, c’est le cas, et on a un récit mythologique mieux traité que le Troie de Wolfgang Petersen qui ne modifie que deux ou trois choses, mais justement, ne modifie que les mauvaises choses. Le personnage d’Achille est tellement mal traité que l’on perd l’essence de l’œuvre d’origine, qui est sa colère, et sa relation avec Patrocle. Autre exemple : les Harry Potter. Les deux premiers sont plats, et souffrent d’une mise en scène banale. En revanche, le cinquième film, qui fait de bien plus grosses coupes, et bien plus intéressant à regarder car il choisit une approche précise, pose une ambiance qui donne de la personnalité, et nous fiche une claque avec une mise en scène dynamique, esthétique et fraiche.

Une bonne adaptation, c’est une adaptation qui parvient à être une bonne œuvre indépendante et qui, au lieu d’être fidèle au récit, va être fidèle à l’essence du texte de base. Selon moi, le récit est important en ce sens où il est moteur d’un propos, d’une vision. L’important dans Madame Bovary, ce n’est pas ce que vit Madame Bovary, c’est ce que Flaubert veut nous dire et comment il nous le dit. Ainsi, le film de Chabrol qui se borne à coller au roman avec une voix off horripilante est une torture à regarder, alors que La Fille de Ryan (David Lean), transposition du roman dans l’Irlande du début du 20eme siècle, est passionnant. Mais l’essence de l’œuvre est là : une femme qui s’ennuie et qui veut donner de la saveur à sa vie, sur les modèles de ses lectures de piètre qualité. Aussi, quand on adapte L’Île Mystérieuse pour faire un film dans un univers merveilleux avec des insectes géants et des plantes fantaisistes, on trahit l’œuvre d’origine, puisque justement, ce sont des détails étranges dans une réalité commune qui viennent nous perturber, comme par exemple une caisse avec des vêtements, armes et vivres qui échoue sur la plage et semble ne venir de nulle part…

Une adaptation peut aussi corriger une œuvre si celle-ci comporte des incohérences. Là, je pense au Seigneur des anneaux et aux personnages qui, dans les romans, ne sont pas sensibles au pouvoir de l’anneau (Faramir et un hobbit dont j’ai oublié le nom mais qui n’apparaît pas dans le film). Jackson choisit d’en supprimer un et de montrer un Faramir fasciné par l’anneau. Une adaptation peut aussi choisir de trahir une oeuvre : le Total Recall de K. Dick met en scène un comptable qui au final ne met jamais les pieds sur Mars tandis que le film de Verhoeven se fait une critique violente de la société à travers un héros qui bosse sur des chantier (imagninez Schwarzenegger en comptable…) avant d’aller tout faire péter sur Mars.

Bref, définir une bonne adaptation, c’est un vrai bordel, c’est pour cela que je réduis la liste des critères à un seul : est-ce que c’est un bon film ? En somme, il faudrait juger une œuvre cinématographique adaptée indépendamment de l’œuvre d’origine, simplement parce que le but n’est pas de refaire l’œuvre d’origine. On adapte un point de vue, un support, un public, bref, trop de choses pour attendre la même chose des deux œuvres. Les choses dépendent du talent et de la volonté du réalisateur. Verhoeven n’a jamais lu Souvenir à vendre, et pourtant son Total Recall est considéré comme une des meilleures adaptations de SF de tous les temps, simplement parce que c’est avant tout un bon film ! Et tant pis s’il trahit le texte de base.

Quid de ce que je disais sur Verne plus tôt alors ? Les adaptations que j’ai citées de lui restent mauvaises, car incohérentes en elle-même, et inconsistantes. L’Île Mystérieuse, la version avec The Rock, est mauvaise car le film cite directement le roman de Verne comme une représentation fidèle de l’île, et ne respecte pas cette représentation, ni le fait qu’à la fin du roman, une éruption volcanique ravage l’île et la fait couler dans le Pacifique.



Du coup… ?

Il faut être puriste d’une œuvre pour reprocher les écarts narratifs d’une adaptation, et pour ma part, je n’aime pas les puristes. J’ai été déçu par des adaptations comme j’ai été satisfait par d’autres, et je me rends compte que ce que je veux avant tout, c’est vraiment un bon film, qui saura me faire ressentir des choses indépendamment de l’effet que m’a fait le livre. Je hais certaines adaptations très similaires à une œuvre mais qui ratent un élément important : le Lolita de Kubrick est une honte à mes yeux, faisant de Lolita une séductrice de 16 ans alors que dans le roman, c’est une victime en souffrance âgée de 12 ans ; vieillir le personnage via le choix de l’actrice, c’est retirer l’essence de l’œuvre et dédramatiser l’un des crimes les plus horribles qui soit. Pour cela, et d’autres choses, je refuserai de qualifier le célèbre réalisateur de génie. J’adore Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, mais ce n’est pas une bonne adaptation, l’humour n’étant pas celui de la B.D., c’est simplement un bon film. Tout dépend des attentes de chacun et ce n’est pas dans ces quelques lignes que je vais résoudre le problème. J’espère seulement poser les bonnes questions et donner clairement un point de vue.

NB : pour être honnête, je considère le film L’Île Mystérieuse comme mauvais, en partie parce que je suis un peu un c** de puriste avec Verne, mais il m’a fait marrer et j’ai apprécié le regarder… parce que The Rock quoi (oui, j’aime bien The Rock) :




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